lundi 26 février 2007



UNE DES HONTES DE NOTRE PASSÉ


Il est de ces événements dans l’histoire d’un peuple qu’on aurait préféré qu’ils ne fussent jamais survenus, mais qui, malheureusement, sont souvent occultés dans nos maisons d'enseignement. L'un d'entre eux implique directement une grande partie de nos élites nationalistes de la fin des années 1940. Cet événement, le journaliste indépendant, Yves Lavertu, en a fait un livre. Il s’agit de : «L’affaire Bernonville», qu’il a publié en 1994.

La lecture de cet excellent ouvrage est passionnante. Lavertu parvient à décrire, en moins de deux cents pages, comment un criminel de guerre français, Jacques Dugé de Bernonville, collaborateur de l’Allemagne nazie sous le régime du Maréchal Pétain, a bénéficié du soutien actif et intensif des éléments les plus réactionnaires du nationalisme québécois, lorsque ce triste sire s’est «réfugié» au Québec après la seconde guerre mondiale.

Qui est Bernonville? Yves Lavertu nous apprend que Bernonville est né en 1897, à Auteuil, près de Paris, dans une famille aisée ayant des origines aristocratiques. Celui-ci a combattu l’Allemagne lors du premier conflit mondial. Ses actes de bravoure lui valurent bon nombre de décorations. Selon Yves Lavertu, Bernonville aurait par la suite fait une brillante carrière militaire qui lui a mérité d’être décoré de la Légion d’honneur.

En 1926, on retrouve Bernonville au sein de l’Action française de Charles Maurras. Il rencontre bon nombre d’éléments réactionnaires qui souhaitent le retour à la monarchie et l’instauration, en France, d’un régime autoritaire. Au début des années 1930, «Bernonville pousse encore plus loin son engagement dans les mouvements d’extrême droite. Il piaffe d’en découdre avec les communistes. En janvier 1938, on le trouve impliqué dans le complot visant à renverser la République par la force» (p. 22).

Personnage en vue sous le régime de Vichy, grand supporteur du Maréchal Pétain, Bernonville prêta serment à Hitler à l’automne 1943 et figure alors sur le registre de paie des Allemands. Il déploie un zèle à pourchasser les résistants français. Par exemple, le dimanche, 26 mars 1944, en compagnie de trois bataillons allemands et de 400 hommes de la police allemande et de SS, Bernonville donne la chasse aux résistants qui s’étaient réfugiés sur le plateau des Glières. Quelque 180 hommes sont capturés et certains, soupçonnés d’être communistes, sont torturés et tués. Par la suite, Bernonville poursuit sa tâche dans le Vercors (p. 28) et commet d’autres exactions en Saône-et-Loire. Il dirige fréquemment les interrogatoires de résistants français au cours desquels on pratique la torture.

Selon Yves Lavertu, le débarquement allié en Normandie le 6 juin 1944 annonce la fin imminente de l’occupation allemande. Vers la troisième semaine d’août 1944, Bernonville quitte la France pour l’Allemagne en compagnie de hauts dignitaires nazis. De retour en France à l’automne 1944 afin d’accomplir une mission qu’il ne fut, en fin de compte, pas capable de mener à bien, Bernonville a bénéficié du soutien du clergé catholique au moment de la Libération de la France en le cachant. En novembre 1946, il se retrouve à New-York, déguisé en prêtre, sous le nom de Jacques Benoît. À la fin novembre, il quitte cette ville pour se «réfugier» au Québec. Le 8 octobre 1947, Bernonville est condamné à mort par contumace par un tribunal de Toulouse.

Toute la suite du livre de Lavertu révèle les dessous de la sordide affaire Bernonville. On y apprend comment les principaux acteurs du nationalisme canadien-français, admirateurs presque inconditionnels du Maréchal Pétain, ont manœuvré et remué ciel et terre pour assurer sa défense, ainsi que celle d’autres sinistres personnages de même nature (dont Georges-Benoît Montel) qui avaient également réussi à se « réfugier » au Québec. Ce travail était mené sous les auspices d’un « Comité de défense des réfugiés français », mis sur pied par l’historien Robert Rumilly, citoyen français ayant émigré au Canada en 1928. Outre Rumilly, parmi les principaux défenseurs de Bernonville et de ses affreux compères, on retrouve René Chaloult, Lionel Groulx, Camilien Houde, et d’autres individus qui sont devenus des personnalités très connues du mouvement souverainiste. Toute opposition à la présence de Bernonville et de ses acolytes au Québec était décriée par leurs supporteurs comme étant un complot mené par les communistes, les francs-maçons ou encore par la «juiverie internationale» contre des gens «fort honorables» qui avaient le droit, somme toute, de trouver refuge ici. On traçait même un parallèle avec des patriotes de 1837-1838 qui avaient obtenu le droit d’asile aux États-Unis. Comme le souligne mon collègue et ami blogueur, Daniel Laprès dans son billet du 26 janvier 2007, Montel est mort paisiblement chez-nous tandis que Bernonville, lui, dut s’enfuir au Brésil en 1951 où il y est mort assassiné en 1972.

Je terminerais ce billet en soulevant l'aspect plutôt sarcastique du fait que tous les fédéralistes francophones du Québec, sans exception, sont considérés comme des «vendus», des «collabos» ou encore des «traîtres à la nation» par les éléments les plus extrémistes et radicaux du mouvement indépendantiste québécois. Cela en dit long sur ce qui attend peut-être les fédéralistes si jamais les indépendantistes les plus radicaux devaient prendre le pouvoir dans un Québec devenu souverain.

2 commentaires:

Sherlock a dit...

L'antisémitisme, à cette époque, était considérablement répandu dans toute l'Europe et l'Occident en général. Mais force est de constater que ce passé antisémite, qui n'est pas propre au Québec, est étrangement et ridiculement occulté par nos historiens. Pourquoi ?

Yves De Martaizé a dit...

Bonjour Marc,

Merci de votre commentaire. Vous avez tout à fait raison. L'antisémitisme était un fléau présent partout en Occident durant cette période. Malheureusement, il est tabou d'en parler au Québec. Ceux et celles qui osent le faire en paient chèrement le prix. Pensez à Esther Delisle par exemple.

On préfère se fermer les yeux, se cacher la tête dans le sable et se dire, qu'au fond, le Québec n'était pas plus antisémite que toute autre société occidentale. Cela, j'en conviens. L'antisémistisme était certainement aussi virulent ailleurs. Mais pourquoi ne pas admettre qu'une bonne part de nos élites nationalistes de l'époque véhiculaient de tels sentiments? Enfin, ce n'est quand même pas pour rien que le Maréchal Pétain était si populaire! D'aucuns voyaient en lui le vrai sauveur de la France et non les résistants français. J'imagine que ce réflexe résulte peut-être d'une forme quelconque d'insécurité qui a encore cours au sein de la société québécoise. Une société qui n'a pas apprivoisé son passé, et qui ressent le besoin d'être appréciée et aimée des autres.

Bonne fin de journée !